L’écriture inclusive, d’après Aristophane

Parabase des Poètes.

L’écriture inclusive ! Un sujet qui n’a pas fini de faire couler de l’encre et fabriquer du papier. Sujet politique s’il en est, il marque l’émancipation des femmes et les progrès de notre civilisation, et il est donc au centre des affaires de la Cité. Mais Aristophane, le poète au service de sa patrie par excellence, était-il de cet avis ? Voici les déclarations retrouvées dans la parabase des Poètes, une comédie dont les papyri ont récemment été retrouvés dans les sables égyptiens.

Ce billet a été écrit « à la manière de… » par Anne de Cremoux. Merci à Hélène Parenty et Franck Plichon, qui ont apporté leurs idées pour la conception de ce texte.

Du fin fond du pays nous voici arrivés
Comme un fleuve roulant nos vers alambiqués,
Pour nous plaindre du sort auquel nous sommes voués :
Ah ! nous tous, les poètes, souffrons de la Cité,
Car depuis que des jeunes en ont le gouvernail,
Des jeunots sans vergogne, des malfrats, des racailles !
C’en est fait de notre œuvre, ce sont nos funérailles.
Mais fuyant le combat comme un épouvantail,
Ils caquettent et décrètent des idées aberrantes !
Les femmes, prétendent-ils, créatures fainéantes,
Ces garces et ces catins, ces véritables mantes,
Méritent à leurs yeux une loi différente.
Ils veulent que partout, l’écriture les inclue.
Alourdissant les vers qui décrivent leur… cul (geste obscène)
Ils rendent impossible le compte des syllabes dues.
Le poète pleure et part, pourchassé par… Manu ! (homme politique célèbre, archonte plusieurs années de suite, dont le nom a été conservé par l’épigraphie)
Or que devons-nous faire, patrie, par Héraclès !
Pour te réprimander et guider dans nos pièces
Si nos alexandrins contiennent des dieux-déesses,
Qui ne peuvent plier dans telle petitesse !
Auteur-e, gouverneur-e, c’est un pied de trop,
Pour parler de nos chef-fes, les vouer aux… corbeaux,
Ou courtiser les jeunes, dès lors qu’ils seront beaux-belles.
Las ! non, non, plus jamais, nous n’aurons le repos :
Pour complaire aux putains, nous devenons boiteux !
Il en est des poètes comme des pot-au-feu :
Les uns sont pleins de goût, parce qu’ils sont valeureux,
Les autres, ces flagorneurs, sont trop fades et aqueux. (Jeu de mots sans doute accompagné d’un geste obscène et évoquant les mœurs honteuses des rivaux)
Mais aujourd’hui le nôtre, dans cette comédie,
Est venu nous venger contre ces avanies :
L’ingénieux Franckie (homme d’Athènes célèbre pour ses idées ingénieuses) lui a en effet dit
Qu’il fallait inventer un nouveau e souscrit,
En toute occasion, sous le mot directeure,
Sous celui de docteure ou de bonimenteure,
Dès qu’il composera sur un ambassadeure,
Il nous ramènera la gloire et le bonheur !

Le blog Insula poursuit sa nouvelle manière de parler des auteurs anciens : les faire intervenir sur des sujets contemporains. Les auteurs de ces billets écriront « à la manière de ». L’exercice n’est pas seulement frivole. En pastichant les Anciens sur des sujets actuels, ces textes peuvent révéler une manière d’écrire et de penser à l’aune de notre connaissance de ces mêmes sujets. Ils révèlent aussi notre rapport au texte par la traduction, avec ses imperfections et ses mécanismes qui peuvent eux-mêmes être objets de pastiche.

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Anne de Cremoux, « L’écriture inclusive, d’après Aristophane », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 6 juillet 2018. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2018/07/06/lecriture-inclusive-dapres-aristophane/>. Consulté le 19 March 2024.