Une synthèse archéologique sur les Nerviens

Rome en pays nervien. Retour sur notre passé antique édité par le Forum antique de Bavay, musée archéologique du Département du Nord et à l’Espace gallo-romain d’Ath, [2015].

Rome en pays nervien. Retour sur notre passé antique est le catalogue réalisé à l’occasion de l’exposition présentée au Forum antique de Bavay, musée archéologique du Département du Nord et à l’Espace gallo-romain d’Ath, du 5 février au 25 août 2015. Insula a demandé à Germaine Leman, qui a réalisé l’introduction de l’ouvrage, de nous le présenter.

Rome en pays nervien
Rome en pays nervien

Les grandes expositions donnent l’occasion de mises au point importantes sur les sujets choisis car de telles manifestations exigent non seulement un travail de transmission mais aussi et d’abord un vrai travail de recherche. Ouvertes au grand public, elles conjuguent à la fois l’accessibilité et la recherche, elles donnent l’occasion d’approfondir des sujets qui seront mis à la disposition des visiteurs.

Dans le cas des expositions bavaisienne et athoise, le chemin avait été déblayé, la matière défrichée, par un programme d’études développé à l’Université de Lille. Le Centre de recherches Halma organisa en effet un certain nombre de journées d’études à propos de la Cité des Nerviens et cette exposition en est le prolongement, offrant ainsi l’occasion de présenter les résultats des nombreuses fouilles récentes qui ont renouvelé totalement nos connaissances régionales.

Pourquoi les Nerviens ?

Pourquoi s’intéresser aux Nerviens ? Pourquoi ne pas prendre pour cadre une autre définition géographique, basée sur la géographie physique, ou sur une définition géopolitique actuelle. C’est parce que le cadre antique de la cité en tant que territoire, base de toute l’organisation administrative, conditionne tout son fonctionnement. La cité des Nerviens, avec celle des Rèmes, est l’une des mieux documentées de la Gaule Belgique, par les textes − depuis les carnets de César, les courriers de Cicéron −, par l’épigraphie, par Bavay même, qui profite depuis le dernier conflit mondial des fouilles étendues et qui constitue le chef-lieu sans doute le mieux connu du Nord de la France.

Les différents chapitres du volume, de taille variable, abordent les questions traditionnelles en archéologie. Ils sont signés de tous les auteurs, ou presque, qui se sont intéressés récemment à cette civitas. Il ne peut être question de décrire en détail ces différents apports. Mais il faut souligner les originalités, les trouvailles récentes, les interprétations nouvelles qui font de ce volume une synthèse des connaissances actuelles sur ce territoire aujourd’hui à cheval sur la frontière franco-belge.

La romanisation

La thématique essentielle qui sous-tend la quasi-totalité sinon la totalité des articles, concerne naturellement la romanisation. Depuis Franz Cumont qui publia en 1914 un premier ouvrage resté célèbre Comment la Belgique fut romanisée (d’ailleurs en cours de republication par l’Academia Belgica), cette question combien vaste et difficile ne cesse d’être posée. Les premières contributions en délimitent le cadre : la romanisation est d’abord administrative mais elle est aussi culturelle, militaire, religieuse, juridique et économique : le phénomène est à double sens et la compréhension doit être prudente : des éléments d’adhésion s’ajoutèrent aux impositions. Les autres chapitres détaillent, illustrent ces propos. L’examen des institutions et de la vie politique soulignent l’importance du Haut-Empire à Bavay, dont le forum (seul point traité du chef-lieu de cité) en est l’expression la plus manifeste. Si le catalogue passe sous silence Bavay, ou sa remplaçante du Bas Empire, Cambrai, en revanche, les multiples agglomérations secondaires apportent matière à réflexion : on ne peut certes administrativement leur attribuer le statut de vicus même si l’ampleur d’un site comme Famars le laisse supposer mais on n’a jusqu’ici aucune preuve, à la différence de Liberchies chez les Tongres. Toutefois, leur création est révélatrice du mode de vie à la romaine, par l’ampleur des constructions (théâtres, thermes et adduction d’eau), par les activités artisanales. Dans ce domaine, l’art du potier est toujours sollicité pour mesurer non seulement l’évolution typologique des céramiques, l’arrivée de productions méridionales, mais encore la modification dans l’art culinaire : on se rappellera que César avait souligné le refus de la consommation du vin chez les Nerviens, peut-on dire que le nervien d’époque romaine avait des habitudes alimentaires de ses ancêtres gaulois ? La multitude des découvertes permet effectivement de préciser l’usage de coutumes romaines dans la partie méridionale de la civitas, plus ouverte aux apports économiques, drainée par des voies de communication, au contact du chef-lieu et des plus petites agglomérations. Dans un même ordre d’idées, on rappelle la création de boucheries, une activité artisanale concentrée en milieu urbain.

La cité se définit par son chef-lieu, ses agglomérations secondaires mais aussi par sa campagne : la publication accorde donc une large place aux fouilles des campagnes qui ont bénéficié du développement de l’archéologie préventive, en particulier sur les recherches de grande ampleur comme à Ghislenghien (Belgique) ou Onnaing, Marquion… (Nord de la France). La question de la romanisation est aussi primordiale : la tradition archéologique voulait voir l’influence romaine dans la construction des villas, souvent de plan axial, à deux cours, construites en dur, pourvues d’hypocaustes, et bénéficiant fréquemment d’installations balnéaires. La cartographie de ces découvertes avait même fait l’objet d’interprétations ethniques. Les fouilles récentes laissent entrevoir une grande diversité dans l’occupation des campagnes, et si quelques sites, de tailles diverses d’ailleurs, présentent bien cette conformation classique, d’autres établissements sont connus : appelés « fermes », ils présentent des plans différents, des matériaux traditionnels, et sont souvent la continuation des sites gaulois. Il faut encore distinguer dans la partie septentrionale de la cité, en terrain sablonneux, l’existence des fermes-étables, proches de ce qui existe dans la cité voisine des Ménapiens (et d’ailleurs aussi dans la continuité des fermes-étables d’époque pré-romaine !).

Revenons encore au matériel épigraphique dont la recension a commencé déjà au XVIIIe s. à Bavay. Il est intéressant de citer l’étude onomastique qui vient préciser encore le phénomène de romanisation, la place des Nerviens dans le commerce, dans l’artisanat mais surtout dans l’armée qui engage dès les premières années de notre ère, deux aristocrates nerviens au titre de tribuns ; cet enrôlement peut sans doute se vérifier par la découverte toute récente d’une tombe à Oisy-le-Verger (fouille du canal Seine-Nord) contenant un umbo de bouclier révélateur sans doute d’une présence d’auxiliaire.

Les domaines funéraire et religieux sont en effet d’autres terrains de choix pour la mesure de la romanisation. L’amalgame entre politique et religion conduit nécessairement à la mise en place de cultes offerts aux divinités de la cité non seulement dans le chef-lieu (autel de Jupiter à Bavay par exemple) mais aussi dans les agglomérations secondaires. Outre Blicquy qui atteste aussi d’une continuité depuis l’époque protohistorique, on mentionnera particulièrement la découverte de Sains-du Nord où le culte attribué à Mercure s’organise dans un vaste complexe maçonné flanqué d’un portique à colonnade, orné de peintures murales et de marbres importés de Méditerranée. Sensible encore pour la romanisation est le monde des morts. Là aussi, le catalogue rend compte des découvertes récentes qui mettent en lumière les amalgames des traditions celtiques et des références méditerranéennes. Dans ce domaine, les arguments sont multiples. Apparaissent des transformations dans l’architecture des tombes (à hypogée dans le Cambrésis), dans le mobilier déposé (trouvailles de siège curule, de miroirs, de lampes, de récipients de verre…) qui mettent en évidence une transformation des coutumes funéraires. Mais il est aussi important de remarquer que le domaine religieux est aussi celui qui permet un autre type de questionnement à propos de cette cité, une autre approche, à savoir sa spécificité. Autrement dit, la cité des Nerviens se différence-t-elle de ses voisines ? La question peut être abordée dans le domaine funéraire car on relève (et la chose avait déjà été démontrée par des découvertes anciennes de Blicquy et de Bavay) le dépôt d’objets du foyer : trépied, pince à feu, chenet, grill, chaudron (parfois miniaturisés). Objets révélateurs du culte du foyer ou seulement du feu, ustensiles du banquet funéraire ? Leur répartition coïncide avec le sud de la civitas mais elle déborde aussi dans les cités voisines (une étude particulière avait été faite pour les chenets retrouvés également dans l’est de la civitas des Ménapiens).

Survivance des Nerviens

Monument de Boduognat (Anvers)
Monument de Boduognat (Anvers)

Il est un autre domaine qui différencie les Nerviens de ses voisins méridionaux, c’est leur survivance dans l’histoire et la légende. Boduognat, leur valeureux chef, a survécu pour honorer les heures glorieuses de la nouvelle Belgique qui, après sa révolution en 1830, se cherche des héros fondateurs. Le catalogue se termine donc par deux articles consacrés à l’historiographie et au folklore attachés à son nom et à d’autres chefs gaulois. La Belgique célèbre Boduognat à Anvers, Ambiorix à Tongres et …à Ath, qui par homonymie est rattaché par les érudits de la Renaissance à Atuatuca Tungrorum ! Sa localisation en territoire nervien n’évoque que de rares protestations et Ambiorix en géant défile toujours dans la ville d’Ath ! Boduognat est statufié par le sculpteur J. Ducaju, il orne encore une porte de l’enceinte construite à Anvers en 1866 comme dernier réduit national en cas d’attaque venant du sud ! La peinture historique belge va aussi se saisir à de multiples reprises des évènements de la Guerre des Gaules. On aurait pu ajouter la légende tournaisienne du chanoine Henri qui attribue par un dédale de générations dont les poètes médiévaux ont le secret, la fondation de Tournai aux Nerviens ! Au XIIs., à l’époque où Tournai cherche à récupérer son siège d’évêché perdu depuis près de sept siècles au profit de Noyon, Hériman, abbé de Saint-Martin, rapporte les visions du jeune chanoine Henri inspiré par Saint-Eleuthère, à propos des origines de la ville. Celle-ci aurait été fondée non pas par un descendant de troyen mais par Tarquin l’Ancien lui-même, et la ville était alors la « petite Rome », ou « l’autre Rome ». Sous son successeur Servius, la ville se refuse à payer l’impôt, elle est appelée « Hostile ». Détruite… puis reconstruite, elle est dénommée Nerve pour rappeler le nom de Servius. Lors de la guerre des Gaules, César veut s’emparer de la ville et les … « Nerviens » organisent la résistance, leur ville est appelée Tournus en souvenir du roi qui combattit Énée, l’ancêtre de César ! Les Tournaisiens, alias les Nerviens, s’opposent à César le long du Sabis … Dans le Nord de la France en revanche, et pas plus que Commios, roi des Atrébates, qui fut pourtant le sujet d’une nouvelle d’Anatole France, le nom des Nerviens n’a inspiré que les historiens locaux passionnés par l’identification du Sabis. Mais en fait de monument, on ne connaît qu’une simple plaque déposée sur le mur de l’hôtel de ville de Bavay en 1957, par les Amis de Bavay, sous l’impulsion de leur président, René Damien, qui évoque le combat de Boduognatos qui fit un moment « balancer la fortune de César » !

À propos de ce livre

Rome en pays nervien : retour sur notre passé antique, Forum antique de Bavay, [2015]. 220 p. ISBN 978-2-9543407-2-2

Pour en savoir plus

  • Germaine Leman avait coédité avec Xavier Deru un numéro d’Archéo-Théma consacré aux Nerviens (n° 14, mai-juin 2011). Voir sur Insula
  • Dans le n°544 de juin 2016 de la revue Archéologia, Patrice Herbin et Laetitia Meurisse annoncent la reprise des fouilles à Bavay. Voir sur le site d’Archéologia

Bavay - Photographie de Carole Raddato (Flickr)
Bavay – Photographie de Carole Raddato (Flickr)

Bavay : photographie de Carole Raddato (Flickr)

Lire aussi sur Insula :

Citer ce billet

Germaine Leman, « Une synthèse archéologique sur les Nerviens », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 6 juillet 2016. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2016/07/06/une-synthese-sur-les-nerviens/>. Consulté le 28 March 2024.