En cheminant dans la Rome antique

La renaissance virtuelle de la Rome impériale

Le projet Rome Reborn a récemment dévoilé un aperçu de la dernière version de son modèle numérique 3D de la Rome antique : Rome Reborn 2.1 : A View of the Current State of the Model (October 2010). La vidéo propose un survol virtuel d’environ 7 minutes au-dessus de la Ville éternelle à l’apogée de son développement urbain dans l’Antiquité (vers 320 ap. J.-C.).

Cette vidéo sera l’occasion de présenter le projet Rome Reborn et de dire quelques mots de deux initiatives françaises impliquées dans ce dernier : l’équipe ERSAM (Université de Caen) en charge du Plan de Rome, et Archéovision, la plateforme technologique 3D de l’Institut Ausonius (Université Bordeaux 3 – CNRS UMR 5607).

Le projet Rome Reborn

Rome Reborn 2.1 : vue sur l'aqueduc de Claude et le Colisée
Rome Reborn 2.1 : vue sur l’aqueduc de Claude et le Colisée (Tous droits réservés)

Rome Reborn est un projet international dont l’objectif est d’illustrer au moyen de modèles numériques 3D le développement urbain de la ville de Rome, depuis le premier établissement de la fin de l’Age du Bronze (vers 1000 av. J.-C.) jusqu’à la dépopulation de la ville au début du Moyen-Age (vers 550 ap. J.-C.). A ce jour, les efforts se sont concentrés sur un instant T dont il est communément admis qu’il représente l’apogée démographique et monumental de la capitale de l’Empire romain : la Rome du début du règne de Constantin Ier (empereur de 306 à 337 ap. J.-C.).

La vidéo représente un instantané de la ville en 320 ap. J.-C., date à laquelle la population urbaine est estimée à 1 million d’habitants environ, occupant une superficie de 25 km² à l’intérieur des murs de l’enceinte tardive, et comprenant près de 7000 bâtiments.

Rome Reborn 2.1 : vue sur l'arc de Constantin, le Colisée et le temple de Vénus et de Rome.
Rome Reborn 2.1 : vue sur l’arc de Constantin, le Colisée et le temple de Vénus et de Rome (Tous droits réservés)

Ce parcours virtuel tout à fait saisissant offre une vue d’ensemble de la topographie urbaine et permet d’admirer plusieurs monuments et ensembles architecturaux restitués en 3D (le Circus Maximus, le Septizodium, l’aqueduc de l’Aqua Claudia, l’arc de Constantin, l’amphithéâtre flavien, les monuments du Forum Romanum et des forums impériaux, etc.).

Afin de poursuivre l’exploration, un calque 3D intégrant les réalisations de Rome Reborn est accessible depuis le logiciel Google Earth (Rome antique en 3D). Cette fonctionnalité propose une visite virtuelle de la ville antique, enrichie d’infobulles présentant des notices descriptives de ses principaux édifices historiques.

Reconstituer Rome : le plan-relief de Bigot

L’ambition de reconstituer la Rome antique n’est pas née avec le développement des technologies informatiques. Au début du XXe siècle, l’architecte Paul Bigot (1870-1942) réalisa le Plan de Rome, une maquette en plâtre d’environ 70 m² qui représente à l’échelle 1/400e les 3/5e de la ville au début du IVe siècle av. J.-C.

Vue générale du Plan de Rome à Caen
Vue générale du Plan de Rome à Caen (par Stéphane d’Alu, licence GFDL)

Deux versions de ce plan-relief ont été conservées : l’une est exposée à Caen dans les locaux de la Maison de la Recherche (Université de Caen), l’autre est visible au Musée du Cinquantenaire à Bruxelles (Musées royaux d’art et d’histoire).

Le plan-relief de Caen fut récupéré par l’un des élèves et exécuteurs testamentaires de Bigot, Henry Bernard, architecte de l’Université de Caen (campus 1). Léguée à l’Université, la maquette est classée monument historique depuis 1978. Sa copie de Bruxelles est dans un meilleur état de conservation et présente la particularité d’avoir été colorée. Elle offre au spectateur le point de vue de quelqu’un qui survolerait la ville de Rome à 300 mètres d’altitude.

Deux autres exemplaires de la maquette, tous les deux détruits, avaient été réalisés pour le Pennsylvania Museum de Philadelphie et l’Université de la Sorbonne (Institut d’art et d’archéologie ou Centre Michelet, dont Bigot fut l’architecte entre 1925 et 1928, également classé aux monuments historiques).

Reprenant le concept de Bigot, l’archéologue et architecte Italo Gismondi entreprit dès 1935 la réalisation d’une autre maquette de Rome (Il Plastico di Roma Antica). Aujourd’hui exposée au Musée de la civilisation romaine, elle est plus grande que la maquette de Bigot (échelle 1/250e), et aussi plus complète car sa mise à jour s’est poursuivie jusque dans les années 1970 (celle de Bigot montre l’état des connaissances en 1942, date de sa mort).

L’héritage de Bigot à Caen : l’équipe ERSAM et le Plan de Rome

L’oeuvre de Paul Bigot laisse derrière elle un héritage important. La présence du Plan de Rome à Caen constitue en effet le point de départ d’une vaste entreprise de restitution virtuelle de la Rome antique menée depuis 1994 à l’Université de Caen Basse-Normandie. De cette initiative découleront la création du Centre Interdisciplinaire de Réalité Virtuelle (CIREVE) puis de l’équipe de recherche « Sources Anciennes, Multimédias et publics pluriels » (ERTé 2003 ERSAM). Cette dernière a signé en mars 2010 un accord de partenariat avec l’équipe américaine Rome Reborn afin de mutualiser leurs efforts.

L’objectif de l’équipe ERSAM est de constituer une maquette virtuelle interactive de la ville de Rome sous Constantin (au début du IVe siècle, soit la même période que la maquette de Bigot). Seuls les édifices documentés historiquement seront accessibles dans leur intégralité, y compris leur intérieur. La possibilité de se mouvoir dans le modèle virtuel est complétée par un accès permanent à la documentation associée à chaque édifice.

On trouve sur le site du Plan de Rome toutes les informations sur le projet ainsi qu’une riche documentation sur la maquette de Bigot et les réalisations de bâtiments virtuels, accompagnés d’une banque d’images, de vidéos et même d’une base de données bibliographiques.

Le travail d’analyse des sources anciennes est crucial dans la mesure où il est le garant de la validité scientifique du modèle 3D et en constitue la valeur ajoutée par rapport à la plupart des produits commerciaux (certains jeux vidéos par exemple). On retrouve cette exigence de valorisation des sources documentaires dans le projet Rome Reborn.

L’étude des sources anciennes est la première étape du processus de restitution virtuelle d’un bâtiment. Cette tâche se décompose elle-même en plusieurs phases : collecte et analyse des textes grecs et latins à partir des dictionnaires topographiques classiques et des bases de données de textes littéraires, recherches iconographiques (Forma Urbis Romae, codices du Vatican, et autres sources iconographiques telles que monnaies, bas-reliefs, peintures, etc.), étude des rapports de fouilles archéologiques.
La suite du processus passe par la modélisation des bâtiments architecturaux, le placement des éclairages, le placage des textures et enfin l’intégration de la composante interactive du modèle 3D (visite virtuelle).

Outre son intérêt scientifique, l’analyse des sources anciennes présente un double intérêt pédagogique et de valorisation de la recherche. Elle se situe même au coeur de la démarche poursuivie par l’ERSAM. Son principal objectif consiste à valoriser les documents anciens afin de susciter la curiosité du public sur l’Antiquité gréco-romaine. L’utilisation de dispositifs multimédias occupe une place centrale dans cette activité de médiation : le recours à l’image et à la dimension interactive cherche à rendre la découverte des sciences de l’Antiquité plus attrayante, plus vivante.

Notons que les actions de l’ERSAM ne se sont pas centrées exclusivement sur l’architecture et l’urbanisme, avec ces deux vecteurs de curiosité importants que sont la maquette physique de Bigot et son double virtuel. Elles s’articulent autour de deux autres thématiques, complémentaires les unes des autres : les « instruments et machines » antiques et le « partage des savoirs » (thème plus transversal axé sur l’histoire des sciences et techniques). Les instruments et machines font eux aussi l’objet de reconstitutions virtuelles (machines de jet, de levage, de siège, odomètre, vélums, orgue hydraulique, etc.). Le site web propose une importante documentation sur chaque machine ou instrument, accompagnée de vidéos et de ressources bibliographiques.

Archéovision, centre de ressources numériques 3D

Le centre bordelais d’Archéovision est le deuxième pôle de compétences français impliqué dans le projet international Rome Reborn. Adossé à l’Institut Ausonius en tant que plateforme technologique, il se positionne comme un acteur majeur de la réalité virtuelle et de la numérisation 3D en archéologie. Archéovision est intégré depuis le début 2010 au réseau du TGE Adonis en tant que centre de ressources numériques 3D. A ce titre, la plateforme est chargée d’apporter soutien et expertise aux programmes de recherche en archéologie intégrant des aspects 3D, tant en terme de valorisation, d’archivage, de sauvegarde et de pérennisation des données numériques.

Circus Maximus. Vue sur la spina. ©Archéovision, 2007
Circus Maximus. Vue sur la spina (Tous droits réservés)

La restitution du Circus Maximus fut une des premières réalisations de l’Institut Ausonius. Elle s’est déroulée dans le cadre d’un programme de recherche de quatre années (1996-2000) mené sous la codirection de Jean-Claude Golvin et Robert Vergnieux. C’est le modèle numérique issu de ces travaux qui est aujourd’hui intégré dans Rome Reborn. Pour le clin d’oeil, on notera qu’entre 1904 et 1908, Paul Bigot avait choisi le Circus Maximus comme sujet d’étude et en présenta une maquette avant de s’atteler à celle de la ville dans son ensemble.

Parmi les recherches en cours, plusieurs portent sur l’Egypte antique : étude des constructions officielles du règne d’Amenhotep IV, projet de restitution virtuelle du site du phare d’Alexandrie, étude des talatat de Karnak.

Archéovision s’appuie sur deux outils indispensables à l’accomplissement de ses missions :

  • le conservatoire 3D ArchéoGRID, hébergé à l’IN2P3. Mis au service de la communauté scientifique, il est destiné à la sauvegarde et l’archivage des données numériques 3D du patrimoine.
  • Archéotransfert, la cellule de transfert technologique et de valorisation du centre Ausonius. Sa mission est de valoriser le travail des chercheurs en fournissant aux collectivités territoriales et aux entreprises « un ensemble de prestations faisant appel aux dernières technologies en matière de 3D appliquées au patrimoine archéologique et culturel ».

Circus Maximus. ©Archéovision, 2007
Circus Maximus (Tous droits réservés)

Les activités d’Archéovision s’inscrivent également dans les actions de communication et de médiation de l’Institut Ausonius à destination du grand public, notamment dans le cadre de l’Archéopôle d’Aquitaine. Celui-ci expose les résultats des dernières fouilles archéologiques et anime des ateliers pédagogiques pour les scolaires. Il dispose aussi d’une salle de réalité virtuelle (l’Odéon) où sont présentées au public les méthodes et techniques 3D utilisées par les archéologues.

En savoir plus :

Sur Rome Reborn : voir le site officiel du projet. Voir aussi la vidéo Rome Reborn: An Inside View (Youtube).

Sur Paul Bigot : voir la fiche descriptive sur ArchiWebture, l’inventaire d’archives d’architectes en ligne réalisé par la Cité de l’architecture et du patrimoine. Voir aussi sa notice biographique dans le Dictionnaire critique des historiens de l’art disponible sur le site de l’INHA.
La réserve de la Bibliothèque Centrale de Lille 3 détient un ouvrage de Paul Bigot : Rome antique au IVe s. ap. J.-C., Paris : Vincent, Fréal, 1942.

Ressources bibliographiques : le site du Plan de Rome à Caen met en ligne une base de données bibliographiques sur l’architecture, la topographie et l’urbanisme romains, la mécanique et des ouvrages plus généraux sur l’histoire et l’art romains et la reconstitution virtuelle.

Deux articles pour aborder la bibliographie (très abondante) de la restitution virtuelle en archéologie :
– Fleury Ph., Madeleine S., « Réalité virtuelle et restitution de la Rome antique au IVe siècle après J.-C. », Histoire urbaine 2007/1 (n°18), p.157-165
– Golvin J.-C., L’image de la restitution et la restitution de l’image, cours donné à l’Université de Tunis (pdf)

Pour un point sur l’état des recherches et sur l’évolution des technologies 3D au service de l’archéologie et du patrimoine, se reporter à la série de colloques Virtual Retrospect, édités par l’Institut Ausonius. Les actes des colloques de 2003, 2005 et 2007 sont disponibles en ligne au format pdf. Les actes de Virtual Retrospect 2009 sont parues récemment aux éditions Ausonius.
La BSA possède les actes des trois premières éditions du colloque : Virtual Retrospect 2003 [Localiser l’ouvrage], Virtual Retrospect 2005 [Localiser l’ouvrage], Virtual Retrospect 2007 [Localiser l’ouvrage]

Autres ressources web sur la ville de Rome :

Digital Roman Forum : excellent site donnant accès aux données du modèle numérique 3D du Forum romain, réalisé par le UCLA Cultural Virtual Reality Laboratory (CVR Lab).

Stanford Digital Forma Urbis Romae Project : site du projet qui étudie les fragments de la Forma Urbis Romae. On y trouvera notamment une bibliographie, un glossaire, des cartes ainsi qu’une base de données des fragments issus de cette immense carte en marbre réalisée sous le règne de Septime Sévère.

Aquae Urbis Romae : ce site propose une cartographie interactive illustrant l’histoire des relations entre l’hydrologie, les systèmes hydrauliques construits par les Romains et leur impact sur le développement urbain de la ville de Rome. Le SIG permet d’observer dans la topographie l’évolution des constructions publiques et de l’infrastructure hydraulique tout au long de l’histoire de la ville (de -753 au 18e s.).

Publication disponible en texte intégral sur le site des Presses Universitaires de Caen : Roma illustrata. Représentations de la ville. Actes du colloque international de Caen (6-8 octobre 2005) réunis par Philippe Fleury et Olivier Desbordes (Collection Symposia).

Crédits :

Pour les deux images issues du modèle 3D de Rome Reborn (reproduites avec l’aimable autorisation de Bernard Frischer, directeur du projet) : Image copyright 2010 by Frischer Consulting, Inc. All rights reserved. Elements of the digital 3D model copyright 2010 by The Regents of The University of California; the Université de Bordeaux-3; the Université de Caen; and the German Archaeological Institute. All rights reserved.

Les deux images du Circus Maximus sont issues du modèle numérique réalisé par l’équipe d’Archéovision. Elles sont intégrées ici avec l’accord des intéressés et en demeurent la propriété exclusive.

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Citer ce billet

Régis Robineau, « En cheminant dans la Rome antique », Insula [En ligne], ISSN 2427-8297, mis en ligne le 21 janvier 2011. URL : <https://insula.univ-lille.fr/2011/01/21/en-cheminant-dans-la-rome-antique/>. Consulté le 29 March 2024.